Vous venez tout juste de dégoter un Nikon F3 en superbe état… et vous voilà déjà en train de regarder des Leica M6 à des prix indécents. Vous venez de finir votre première pellicule avec un Olympus OM-2… et vous hésitez à acheter un Hasselblad «pour le rendu». Pas de doute, vous êtes peut-être atteint de G.A.S. : Gear Acquisition Syndrome, ou le syndrome de l’achat compulsif de matériel photo.
Moi, je le suis.
Une petite définition pour commencer
Le G.A.S. n’a rien d’une invention de photographe fauché. Le terme vient du monde de la musique, où il désigne cette tendance à toujours vouloir une nouvelle guitare, une nouvelle pédale d’effet ou un ampli « au son chaud des lampes ». Transposé à la photographie, cela donne : un 35mm f/2 alors qu’on a déjà un 35mm f/2.8, ou ce boîtier télémétrique japonais des années 70 dont on n’a jamais entendu parler… mais qui devient indispensable après l’avoir vu sur YouTube.

Un syndrome bien réel
Psychologiquement, le G.A.S. s’explique par un besoin de nouveauté, un mécanisme de récompense immédiate. Acheter du matériel stimule la dopamine, un neurotransmetteur associé au plaisir. En d’autres termes, chercher, comparer, acheter du matériel nous rend heureux… du moins pour un temps.
Une étude de 2017 montre que ces achats peuvent combler temporairement une insatisfaction ou une frustration créative. Mais attention : plus on cherche l’inspiration dans l’objet, plus on risque de s’éloigner de la pratique.
Pourquoi le G.A.S. est-il si présent en photographie argentique ?
Le Gear Acquisition Syndrome semble particulièrement prégnant dans le monde de la photographie argentique. Pourquoi ? Plusieurs raisons l’expliquent :
- L’abondance du matériel disponible : des dizaines de marques, des centaines de modèles d’appareils et d’objectifs produits entre les années 50 et 90 circulent aujourd’hui sur le marché de l’occasion. Il est très facile (et souvent tentant) de tomber sur un boîtier “mythique” à petit prix.
- Le charme du matériel : un Nikon F3, un Leica M3 ou un Rolleiflex ne sont pas que des outils. Ce sont aussi de beaux objets, bien construits, avec un vrai charme mécanique. Difficile de résister à l’envie de les collectionner… ou simplement de les “essayer”.
- Le prix d’entrée relativement faible : contrairement au numérique où un boîtier coûte souvent plusieurs milliers d’euros, on peut trouver des appareils argentiques de qualité pour 50 à 200 euros. Cela rend chaque achat plus “justifiable”, et multiplie les occasions de craquer.
- La nostalgie et la quête d’authenticité : beaucoup de photographes se tournent vers l’argentique pour retrouver des sensations perdues, un lien plus physique à la photographie. Cela peut aussi conduire à multiplier les appareils pour retrouver “celui qu’on avait à 15 ans” ou “celui que tel photographe utilisait”.
- Le temps long de l’argentique : la pratique étant plus lente, le plaisir se déplace parfois vers la préparation, l’attente, le matériel. Et comme on ne shoote pas 200 photos par jour, le manque de pratique peut vite être comblé… par l’achat.
Les symptômes
Si tu reconnais certaines de ces situations, il est peut-être temps de ralentir :
- Tu possèdes 4 boîtiers argentiques… mais utilises toujours le même.
- Tu stockes des pellicules périmées que tu « réserves pour un bon projet »… depuis 2022.
- Tu as acheté un téléobjectif 135mm pour de l’urbain… et il n’est jamais sorti de l’étagère.
- Tu n’as pas encore scanné tes 12 dernières pellicules… mais tu commandes une FP4+ en promo.
- Tu compares les rendus du Planar, du Biometar et du Yashinon sur YouTube… sans jamais tirer tes photos.
Est-ce grave, docteur ?
Non, tant que cela reste un plaisir. Le matériel fait partie intégrante de la passion pour la photo argentique. Et soyons honnêtes : le design d’un Olympus Pen FT ou la mécanique d’un Leica M3 sont tout aussi jouissifs que les images qu’ils produisent.
Mais lorsque l’achat devient une fin en soi, ou qu’il empêche de photographier, mieux vaut faire une pause. Et surtout : faire avec ce qu’on a. Une optique limitée peut justement révéler un style, forcer à bouger, à réfléchir autrement.

Quelques pistes pour apaiser une crise de G.A.S.
- Recharger une pellicule, tout simplement.
- Lister le matériel réellement utilisé sur les 6 derniers mois.
- Trier et scanner ses pellicules en attente.
- Prendre un boîtier qu’on n’a pas utilisé depuis longtemps et faire une série cohérente.
- Organiser une sortie photo sans aucun achat ni revente avant/après.
Et puis parfois, se faire plaisir aussi. Avec une règle : pour un achat, au moins une pellicule exposée et développée dans la semaine.
Pour aller plus loin
Le photographe Ted Forbes (chaîne YouTube The Art of Photography) recommande, pour retrouver le plaisir de photographier, de travailler avec un seul appareil, une seule optique et une seule pellicule pendant plusieurs mois.
C’est simple, et diablement efficace pour revenir à l’essentiel.
Et puis parfois, il suffit juste de sortir. Le meilleur appareil est souvent celui qu’on a déjà.