En mai 2025, j’ai traversé Java avec deux appareils argentiques dans le sac. De Jakarta au Bromo, un voyage lent et vibrant, entre portraits, rizières et volcans.

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En mai 2025, je suis parti en Indonésie avec deux appareils photo argentiques dans le sac : un Nikon F3 HP pour le quotidien, et un Hasselblad 500 C/M pour les scènes plus calmes. J’avais aussi une dizaine de pellicules (Portra 160, Ilford HP5,…), un sac pas si léger, et une idée assez floue de ce que j’allais photographier.

Mais ce n’était pas bien grave. L’idée, c’était surtout de voyager sans trop prévoir. Marcher, discuter, me perdre un peu, m’arrêter souvent. Regarder, déclencher… ou ne pas déclencher du tout. Parce que parfois, j’ai préféré profiter du moment plutôt que de chercher une image. Souvent même. Et c’était très bien comme ça.

Mon itinéraire : Jakarta, Bandung, Yogyakarta, Bromo. Des trains, des villes, des volcans, et pas mal de routes en scooter. Pas de plages paradisiaques ni d’activités à cocher. Juste l’envie d’explorer, de documenter ce que je voyais, parfois avec le Nikon, parfois avec le Hasselblad, selon l’humeur ou le silence autour. Des visages, des matières, des ambiances. Et quelques instants saisis sur pellicule, sans précipitation.

Jakarta : chaleur moite, cargos et mosquée géante

Jakarta n’est pas forcément la ville qui fait rêver sur une carte. Trop grande, trop dense, trop bruyante, diront certains. Pourtant, elle a son charme, à sa manière. Ce n’est pas une ville qu’on traverse, c’est une ville qu’on absorbe lentement. J’y suis arrivé en mai, officiellement le début de la saison sèche. Mais visiblement, la saison des pluies avait décidé de faire des heures sup’. L’air est lourd, saturé, moite. La chaleur ne descend jamais, elle colle à la peau, remplit les vêtements, s’installe. Mais les klaxons, les odeurs, les scènes de rue… tout ça finit par former une sorte de chaos presque accueillant. On s’y perd un peu, mais sans vraiment s’en inquiéter.

Au nord de la ville, le port de Sunda Kelapa semble figé dans une autre époque. Les grands pinisi en bois, ces bateaux traditionnels indonésiens, sont encore là, amarrés au béton, leurs coques fatiguées par le soleil et le sel. Les dockers vont et viennent, pieds nus ou en tongs, avec des gestes précis, presque chorégraphiés. Quelques enfants plongent dans l’eau trouble, comme si c’était la chose la plus naturelle du monde. Ici, tout paraît usé, rugueux, mais intensément vivant.

Non loin de là, la mosquée Istiqlal, immense et austère, impose le silence. On entre dans la plus grande mosquée d’Asie du Sud-Est presque sur la pointe des pieds. Les galeries latérales sont baignées d’ombre et de lumière, le marbre réverbère doucement les pas. L’architecture a beau être massive, on s’y sent étonnamment bien. Juste en face, le Monas (le monument national) dresse sa silhouette de béton et d’or au milieu d’un parc, un peu à l’écart du tumulte. C’est le genre d’endroit où l’on reste un moment sans trop savoir pourquoi. Simplement parce que l’air y semble un peu plus léger et l’atmosphère plus sereine.

Dans le vieux quartier de Kota Tua, l’ambiance ralentit un peu. Les façades coloniales, fatiguées par le temps mais pleines de caractère, bordent la grande place centrale. Des vélos pastel sont alignés en file indienne, prêts à promener les visiteurs curieux. Les familles indonésiennes s’arrêtent pour une photo, les enfants courent après les pigeons, les couples se prennent en selfie devant les anciens bâtiments blancs. Il y a quelque chose de presque théâtral dans cette mise en scène du passé : un brin kitsch, parfois attendrissante. On regarde, on écoute, on attend un geste, un détail. Ce n’est pas un musée figé, c’est un petit théâtre vivant, et nous sommes au premier rang.

Bandung : du thé, de la brume, et des vans qui grincent jusqu’au cratère

Le train panoramique entre Jakarta et Bandung mériterait presque le voyage à lui seul. De grandes vitres sur les côtés et au plafond, des sièges confortables, et une ligne qui serpente à travers rizières, collines et villages accrochés aux pentes. Un luxe simple, mais grisant. Je passe une bonne partie du trajet le nez collé à la vitre, appareil rangé pour une fois, juste pour le plaisir de regarder. Enfin… sauf pour une photo. Je n’ai pas résisté.

Vue intérieure du train panoramique entre Jakarta et Bandung, avec les rizières indonésiennes à travers les grandes baies vitrées.
À bord du train panoramique reliant Jakarta à Bandung. Hasselblad 500 C/M, Zeiss 80mm f/2.8.

À l’arrivée à Bandung, la lumière a changé. Moins crue, plus douce. La ville s’étale, entre héritage Art déco et ambiance de montagne. Mais je ne m’y attarde pas longtemps. Direction Ciwidey, au sud, pour une virée en scooter au cœur des plantations de thé.
Les collines ondulent à perte de vue, tapissées de verts différents. Une brume légère flotte au-dessus des rangs bien alignés. L’air est plus frais, l’odeur plus végétale. On s’arrête souvent, sans trop savoir pourquoi. Pour regarder. Respirer. Se perdre un peu.

Un peu plus loin, une armée de vieux vans déglingués attend les visiteurs pour la dernière montée vers Kawah Putih. Aucun doute : les suspensions sont mortes, les sièges éventrés, le plancher brinquebale. Ça grimpe dans un vacarme métallique, les portières tremblent à chaque virage, et on se demande à mi-parcours si tout va vraiment tenir jusqu’en haut. Ça tient.

Au sommet, le lac de soufre se révèle d’un coup : turquoise laiteux, cerclé de falaises blanchies, entouré d’arbres brûlés. L’odeur pique un peu les yeux. L’ambiance est étrange. On entend peu de voix, juste le vent et les pas feutrés sur le sable clair. Il y a quelque chose d’irréel, presque toxique, mais fascinant. On ne reste pas longtemps, c’est le genre de lieu qu’on visite à demi-retenue, comme si le décor lui-même n’était pas tout à fait stable.


Yogyakarta : scooter, sérénité et temples au petit matin

C’est peut-être la chaleur moins étouffante, le rythme plus tranquille, ou simplement l’atmosphère : vivante, accueillante, un peu bohème. On s’y sent bien, rapidement. J’y ai passé mes journées à flâner dans les ruelles, à me perdre autour du Kraton, à me balader en scooter dans les environs. Rien de spectaculaire à première vue, mais une lumière douce, des scènes ordinaires qui donnent envie de s’arrêter, d’attendre, de voir ce qui va se passer. Des saluts d’enfants, des rizières au bord des routes, des visages ouverts. Et quelques instants, ici ou là, qui méritaient d’être saisis.

Un matin, je suis parti avant l’aube pour rejoindre le site de Prambanan, encore désert à cette heure-là. Le ciel était pâle, presque laiteux, et les silhouettes des temples se découpaient doucement dans la brume. On entendait à peine quelques oiseaux. Pas un touriste en vue. Juste les pierres, le silence, et cette impression étrange d’être minuscule face à des siècles d’histoire. L’endroit impose naturellement un autre rythme. On parle moins fort. On regarde autrement.

Quelques jours plus tard, j’ai visité Borobudur. L’ambiance y est tout autre. Le site est impressionnant, mais la visite est balisée, chronométrée, presque chorégraphiée. Il faut emprunter un parcours unique, être accompagné d’un guide, et suivre le flux, plus ou moins dense selon l’heure. Pourtant, malgré cette mise en scène très contrôlée, la magie opère. Les stupas, les bas-reliefs, les perspectives ouvertes sur la jungle… Tout invite à ralentir, même quand le groupe avance. Il suffit parfois d’un regard, d’un rayon de lumière, ou d’un pas de côté pour que l’émotion ressurgisse.

Bromo : 4×4, poussière et lever de soleil (presque) volé aux cartes postales

Le volcan Bromo, c’est une claque. Rien que pour y arriver, il a fallu s’armer de patience : une journée entière de trajet, de routes cabossées et de ciels menaçants. En mai, la saison sèche n’est encore qu’un concept. Il pleut souvent, parfois fort. Mais j’ai tenté ma chance, et j’ai bien fait.

L’ascension commence à 4h du matin, lampe frontale vissée au front, dans un silence un peu irréel. On grimpe doucement vers King Kong Hill, les chaussures dans la poussière, les sabots des chevaux dans le lointain. Il fait froid, le ciel s’éclaircit. Et soudain, le panorama se dévoile. Crêtes acérées, brume qui s’accroche aux flancs du volcan, lumière dorée. Un des plus beaux paysages que j’ai pu voir.

Plus tard, redescente dans la caldera en 4×4 Toyota vintage, secoués comme des sacs de riz. Puis une deuxième ascension, cette fois jusqu’au cratère du mont Bromo. Là-haut, les vapeurs sulfureuses, les grondements sourds et les drapeaux de prière donnent à l’endroit une ambiance presque irréelle. Peu de monde. Beaucoup de vent. Et ce sentiment rare : être ailleurs, vraiment.

Ce voyage m’aura bousculé bien plus que je ne l’imaginais.
Par la beauté des paysages, oui, mais surtout par les rencontres. Une générosité simple, des sourires offerts sans raison, des regards francs. On m’a guidé, hébergé, nourri, salué, questionné… et très souvent photographié (il faut dire qu’avec ma taille, je ne passais pas inaperçu).

J’ai aussi découvert un autre rythme. Celui des longs trajets en train, des balades en scooter au milieu des rizières, des temples qu’on visite en silence et des volcans qu’on grimpe dans la nuit.
Un voyage lent, souvent trempé, parfois flou… mais intensément vivant.

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(Re)découverte de la photographie argentique par un amateur pas très doué… mais plein de bonne volonté !