La disparition de Martin Parr aujourd’hui laisse une tristesse particulière.
On ne perd pas seulement un photographe majeur, on perd un regard, un regard qui faisait du bien. Parr observait le monde avec cette ironie très britannique qui pique un peu mais qui ne blesse jamais. Il photographiait ce que nous faisons sans réfléchir : nos petites manies, nos choix absurdes, nos vacances désorganisées, nos tenues approximatives… et transformait tout cela en scènes drôles, tendres et étrangement justes. Cette douce lucidité va manquer.

Et puis, il faut le dire : Martin Parr ne réservait pas son ironie qu’aux autres. Il se photographiait lui-même, souvent dans des situations volontairement ridicules, théâtrales ou kitsch, comme pour rappeler qu’il n’était pas au-dessus du lot. Ses autoportraits, parfois réalisés dans des studios touristiques, sont de petites merveilles d’autodérision. Une façon très british de dire que le monde est drôle, mais qu’on ferait mieux de commencer par rire de soi.
Documenter le quotidien sans le dramatiser
On l’a souvent classé dans la photographie documentaire. C’est vrai, mais ce classement est un peu restrictif. Parr ne cherchait pas le scoop ni la démonstration ; il scrutait la vie ordinaire. The Last Resort, Small World, Think of England… Toutes ces séries reposent sur la même idée : les gens sont intéressants, même lorsqu’ils ne font rien d’important. Peut-être même surtout dans ces moments-là.

Il savait saisir un geste minuscule, un détail presque grotesque, un alignement involontaire de couleurs ou d’objets. Il suffisait d’un motif de serviette, d’un pot de crème solaire, d’un sandwich écrasé ou d’un bronzage approximatif pour que tout un univers surgisse.
La couleur comme révélateur de notre époque
Parr a redéfini la photographie documentaire en assumant pleinement la couleur. Là où d’autres l’utilisaient comme un simple attribut esthétique, lui en faisait un langage. Les bleus électriques des lunettes de bronzage, les rouges saturés des cabines de plage, les jaunes criards des ponchos touristiques… tout cela dit quelque chose de notre époque, de nos excès et de notre enthousiasme parfois un peu naïf.

Cette esthétique (souvent imitée, rarement égalée) n’était ni gratuite ni provocatrice. Parr utilisait la couleur comme un outil d’analyse, presque sociologique, mais avec humour et légèreté.
Une simplicité apparente, une précision absolue
Ce qui frappe chez lui, c’est cette impression que tout semble simple : flash, couleurs vives, cadrages serrés. Mais derrière cette simplicité se cache une maîtrise incroyable. Parr savait exactement quand déclencher, à quelle distance se placer, comment laisser entrer un peu de chaos dans le cadre tout en gardant une image lisible et percutante. Rien n’était improvisé. Il travaillait vite, mais jamais au hasard.

Un humour qui rassemble plutôt qu’il ne divise
On a parfois reproché à Parr d’être moqueur. C’est mal comprendre sa démarche. Parr ne se moque pas des gens ; il se moque avec eux, de cette humanité un peu maladroite que nous partageons tous. Personne n’est épargné, mais personne n’est ridicule. Son humour est une manière de dire : regardons-nous franchement, et rions un peu. Ce n’est pas si grave.

Ses photos font sourire, mais elles disent aussi quelque chose de profond sur les habitudes, les classes sociales, la consommation, l’ennui, la joie, la gêne. Parr savait tout montrer sans jamais alourdir son propos.
Une œuvre vivante, qui continue de nous accompagner
Les images de Parr restent extraordinairement actuelles. Elles parlent de nous : de nos vacances, de nos plaisirs simples, de nos excès, de notre besoin de montrer, de consommer, de rire, de nous mettre en scène. Il n’en faisait jamais trop, et c’est ce subtil équilibre entre empathie et ironie qui rend son travail inoubliable.

Et à titre personnel, sa disparition résonne encore davantage. D’une part parce que je suis un fan inconditionnel, mais également parce que l’an dernier, à Paris Photo, il m’avait très gentiment dédicacé son livre Think of Scotland (pour ma fille). Il avait eu une attitude particulièrement simple, chaleureuse, qui disait autant de lui que n’importe quelle interview. Aujourd’hui, ce livre a une valeur particulière. Il me rappelle que Parr n’était pas seulement un grand photographe : il était un homme curieux, amusé, bienveillant.
Un regard que l’on est nombreux à regretter, j’imagine.

Pour aller plus loin
Pour approfondir l’univers de Martin Parr, son site officiel reste une excellente porte d’entrée : on y retrouve ses séries majeures, ses livres, ainsi que de nombreuses archives.
Magnum Photos, l’agence qu’il a intégrée en 1994 et qu’il a dirigée de 2013 à 2017 en tant que président, propose également une vaste sélection d’images et de ressources autour de son travail. Parr y a joué un rôle essentiel, en modernisant l’agence et en défendant une photographie documentaire plus diverse et ouverte.
→ https://www.magnumphotos.com/photographer/martin-parr
La Martin Parr Foundation, créée à Bristol, perpétue son engagement en soutenant la photographie documentaire britannique. Elle conserve ses archives, publie des ouvrages, expose de nombreux artistes et organise rencontres, conférences et ateliers. Une institution qui prolonge parfaitement son esprit curieux, généreux et passionné.
→ https://www.martinparrfoundation.org

Crédits photo : © Martin Parr / Magnum Photos.


