La photographie argentique, ce n’est pas juste une histoire de rouleaux et de bains chimiques. C’est une façon de faire des images différente, plus lente, plus tangible. Une image qui met du temps à naître, qui se construit patiemment, et qu’on découvre souvent avec un petit frisson.
Dans un monde dominé par le numérique, l’argentique n’a pas disparu. Au contraire, il revient doucement dans les sacs photo de photographes curieux, amateurs ou confirmés. Pas par nostalgie. Mais parce qu’il y a quelque chose de spécial à utiliser un Leica M3, un Nikon F3 ou un Hasselblad 500 C/M. Quelque chose qui force à ralentir. À observer. À composer.
Cet article propose de découvrir les bases de la photographie argentique : son principe, son fonctionnement, un peu d’histoire, et ce qui explique ce renouveau d’intérêt aujourd’hui.
Le principe : capturer la lumière sur une pellicule
La photographie argentique repose sur un principe simple mais révolutionnaire pour son époque : capturer la lumière sur un support photosensible. Contrairement au numérique qui enregistre les images via un capteur électronique, l’argentique utilise une pellicule recouverte d’une émulsion chimique qui réagit à la lumière.
Ce procédé repose sur trois étapes principales :
- La prise de vue, où l’image est projetée sur la pellicule à travers un objectif.
- Le développement, où l’image latente est révélée par des bains chimiques.
- Le tirage ou la numérisation, où l’image est transférée sur un papier photosensible ou scannée pour être exploitée numériquement.
Comment ça fonctionne ?
1. La prise de vue
Appuyer sur le déclencheur d’un appareil argentique, c’est activer une mécanique pure. Pas de capteur, pas d’électronique (ou très peu). Tout repose sur des leviers, des ressorts, des engrenages.
- L’obturateur : C’est un dispositif qui contrôle la quantité de lumière qui atteint la pellicule en s’ouvrant et en se fermant pendant une durée déterminée. Il peut être de type central (dans l’objectif, comme sur le Hasselblad 500 C/M) ou à rideau (dans le boîtier, comme sur le Nikon F3). La vitesse d’obturation (exprimée en fractions de seconde comme 1/125, 1/500) détermine la durée d’exposition.
- Le diaphragme : Situé dans l’objectif, il agit comme une iris qui s’ouvre ou se ferme pour laisser entrer plus ou moins de lumière. L’ouverture est mesurée en f-stops (ex. : f/2, f/4, f/8). Plus le chiffre est petit, plus l’ouverture est grande et laisse passer de lumière.
- Le miroir (pour les reflex) : Dans un appareil reflex (comme le Nikon F3), un miroir renvoie l’image vers le viseur. Lors de la prise de vue, ce miroir se relève pour laisser passer la lumière vers la pellicule.
- La pellicule : Lorsque l’obturateur s’ouvre, la lumière vient frapper la pellicule. C’est ce moment précis qui fixe l’image latente sur l’émulsion photosensible.
- Le viseur : En photographie argentique, plusieurs systèmes de visée existent :
- Viseur reflex (TTL – Through The Lens) : Permet de voir exactement ce que l’objectif voit.
- Viseur télémétrique (comme sur le Leica M3) : Basé sur un système de parallaxe, moins précis pour la mise au point rapprochée mais plus compact.
- Viseur poitrine (comme sur le Hasselblad 500 C/M ou le Yashica Mat 124G) : Une image inversée est visible par le haut, offrant une expérience de prise de vue unique.
Ces éléments fonctionnent ensemble pour exposer correctement la pellicule. La bonne combinaison entre ouverture, vitesse d’obturation et sensibilité ISO est essentielle pour obtenir une photo bien exposée.

2. L’exposition
L’exposition dépend de trois paramètres essentiels :
- L’ouverture (diaphragme) : détermine la quantité de lumière qui pénètre dans l’appareil.
- La vitesse d’obturation : détermine la durée pendant laquelle la lumière frappe la pellicule.
- La sensibilité ISO : déterminée par la pellicule utilisée (par exemple, ISO 100 pour des scènes lumineuses, ISO 400 pour un usage polyvalent, ISO 1600 ou plus pour des scènes en faible lumière).
L’ensemble forme une équation qu’on apprend à maîtriser avec le temps. On réfléchit avant de déclencher. On compose avec la lumière, pas contre elle.
3. Le développement
Une fois la pellicule exposée, il faut la développer. Ce processus, souvent réalisé par un laboratoire, peut aussi se faire à la maison. Il suffit de quelques cuves, produits et pinces (et d’un peu de patience).
- Le noir et blanc est idéal pour débuter. Peu coûteux, et très formateur.
- Le C-41 (pour la couleur) demande plus de rigueur, notamment sur la température des bains.
Mais qu’importe la méthode : voir apparaître ses images reste un moment à part. Un mélange d’excitation, de doute, de joie. On revit ce qu’on a vu. On découvre ce qu’on a manqué.

4. Le tirage ou la numérisation
Deux options ensuite : tirer ses images sur papier ou scanner ses négatifs.
Le scan permet de partager facilement, d’archiver, de post-traiter légèrement. C’est la solution la plus accessible aujourd’hui.
Mais le tirage argentique, en chambre noire, reste incomparable. C’est là que l’argentique prend tout son sens. Une image physique, palpable. Avec son propre rythme, ses imperfections, sa beauté singulière.
Un peu d’histoire
La photographie argentique ne date pas d’hier. Son invention remonte au XIXe siècle, avec des pionniers comme Niépce, Daguerre ou Talbot, qui expérimentent des procédés pour capturer durablement une image.
Au fil du temps, les techniques évoluent :
- Les plaques de verre laissent place aux films souples (Kodak, 1888).
- Le format 24×36 mm s’impose avec le Leica dans les années 1920.
- Les reflex et moyens formats deviennent la norme dans les années 1950-1980.
L’apogée de l’argentique se situe autour des années 1980-1990. Puis vient le raz-de-marée numérique. Et pourtant… la pellicule n’a jamais totalement disparu. Elle est revenue par la petite porte, portée par des passionnés, des artistes, des curieux.
Le charme unique de la photographie argentique
Si l’argentique séduit encore autant aujourd’hui, c’est aussi parce qu’il impose un rythme différent. Prendre son temps, réfléchir avant de déclencher, composer avec le nombre limité de poses… Toutes ces contraintes deviennent des sources de créativité. Le grain particulier des pellicules, leur texture, leurs imperfections font aussi partie du charme.

L’attente avant de voir ses photos développées ajoute une part de mystère et d’excitation que le numérique ne peut pas reproduire. Il s’agit d’un processus où chaque étape compte, où chaque déclenchement a un coût, mais aussi une valeur émotionnelle bien plus forte.
Pour beaucoup, c’est ce retour à l’essentiel, cette recherche de l’authenticité qui fait tout l’intérêt de la photographie argentique.